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Survol est une nouvelle de Lukas Kristjanson.[1] Elle a été publiée le 4 décembre 2022 lors de la célébration de la Journée Dragon Age.

Survol - Illustration

Nouvelle[]

« Les Antaam gouverneront Antiva. Et Treviso finira par ployer l’échine. »

La voix était maîtrisée, mais pas vraiment calme. La tonalité grave et légèrement éraillée était celle d’une personne qui avait l’habitude de crier des ordres. Son écho rebondissait contre les toits, magiquement amplifié grâce à des appareils abandonnés par des empires chassés depuis longtemps. Chaque jour, elle rappelait la présence de l’occupant. Quand elle se taisait, les oppressés comme les oppresseurs étaient presque déçus.

« Mon pied est prêt, Treviso. Mais je n’ai pas envie de t’écraser. Obéis. »

« Il ne doute de rien ! » Néri de Acutis, le corps sec et la chevelure argentée, essayait de prendre la voix de vitesse, sur les toits. Il bondit par-dessus la trouée d’une ruelle et pivota à l’atterrissage, attrapant au passage sa canne d’ébène posée entre les briques d’argile d’une cheminée. Cette acrobatie n’avait rien d’étonnant pour qui pouvait lire les armoiries brodées sur sa tenue de cuir. C’était un vieux Corbeau antivan, presque aussi ancien que sa faction. « Le Boucher nous nargue, mais on va lui savonner la planche. »

« Attention où tu poses les pieds, Néri », lui enjoignit sa sœur Noa, en arrivant à sa hauteur. Comme son frère, elle avait des cheveux d’argent et un corps svelte. Et de la réprobation dans la voix. « On ne savonnera rien du tout, si tu finis entre leurs pattes. » Son avertissement fut ponctué par le vacarme au-dessous d’eux. Plusieurs silhouettes solidement bâties se frayaient un chemin à travers la barricade de la ruelle. « Ils sont rapides, pour leur taille. »

« Pas assez », répondit Néri dans un sourire. « C’est pour ça qu’on peut se soucier de l’élégance. »

« Kithtaam ! » un Antaam à la peau cendreuse, imposant même parmi ses semblables, venait de hurler dans la ruelle. Ses cornes étaient presque aussi larges que le passage. Elles étaient recouvertes de peinture empoisonnée, blanche et rouge. Les deux Corbeaux le connaissaient bien. C’était Kaathrata le Fouet. Sa réputation de brutalité ne cessait de croître depuis la prise de la ville. Immobilisés par son ordre, les autres Antaam se recroquevillaient sur son passage. La peur qu’il inspirait n’était pas seulement due à son rang. « Ils courent au-dessus de vous, bande d’imbéciles ! Si vous perdez du terrain, votre dos saignera comme un steak, quand j’en aurai fini avec vous ! »

Néri fit claquer sa langue. « Pas étonnant que le Boucher soit cruel, si c’est comme ça que ses lieutenants traitent leurs hommes. »

« Les seigneurs de guerre gouvernent par la peur », répondit Noa. « On sait leur répondre. Allez ! » En se réceptionnant sur le toit suivant, elle fit tomber une tuile branlante, qui alla s’écraser sous le nez des Antaam.

« Là-haut ! » cria Kaathrata avec une joie mauvaise, les yeux rivés sur les ombres qui voletaient vers le centre-ville. Tout en menant la traque, il aboyait ses ordres. « Un bataillon, derrière moi ! Vous allez me voir fondre sur ma proie ! »

Un nouvel ordre donné du bout des lèvres emplit l’air. « L’obéissance sera récompensée, Treviso. Nous pouvons t’élever à nos côtés, ou t’anéantir. »

« Kaathrata, lui, au moins, semble croire à ce qu’il dit », poursuivit Néri, déçu. « C’est mieux quand un méchant met un peu de cœur à l’ouvrage. »

« Il n’y a plus de toits », répondit Noa, qui n’était pas d’humeur badine. Ils avaient en effet atteint le bout du maillage serré des manoirs du centre de Treviso. Leur course sur les toits s’arrêtait là. Ils étaient très haut au-dessus des canaux et des ponts bordant le marché principal, une grande place où se pressaient habituellement des marchands venus de tout Antiva. Depuis l’occupation antaam, l’activité s’était réduite, et la place était complètement vide en cette fin de journée.

« Notre ami est toujours à nos trousses », constata Néri. « Alors c’est le moment de s’envoler. »

Sur le bord du toit, un solide poteau de bois noir portait la silhouette d’un corbeau, les ailes déployées. Invisible si l’on ne savait pas où chercher, mais très utile pour qui avait l’œil aguerri. Un câble fin était fixé au sommet du poteau. Il filait dans le crépuscule, décrivant une légère pente jusqu’à l’un des ponts en contrebas.

Néri sortit une bande de cuir de sa manche et l’enroula autour du câble. « Prête ? »

« Comme toujours », dit Noa, en s’agrippant à sa taille.

Se propulsant d’un coup de pied contre le poteau, ils s’élancèrent dans le vide et glissèrent le long du câble. Avec le poids de leurs deux corps, la descente fut rapide. Ils franchirent l’espace entre le manoir et le pont de pierre bien avant les Antaam, mais la réception fut violente. Noa fit une pirouette qu’elle termina accroupie et prête à bondir, mais Néri eut plus de mal, avec sa canne entre lui et le sol.

« Mes genoux n’ont plus leur souplesse d’antan », grinça-t-il.

« Ça s’appelle la vieillesse. »

« J’ai deux ans de moins que toi. »

« Ça n’a rien à voir avec l’âge. »

« Soumets-toi, Treviso, et je te couvrirai de présents. Je t’assure qu’il veut mieux pour toi que je reste généreux. »

«Bon », dit Noa, en aidant son frère à se relever : « on leur montre comment on se soumet ? » Néri hocha la tête, et ils traversèrent le pont en courant.

Mais lorsqu’ils passèrent sous la grande et magnifique herse pour rejoindre le marché, il trébucha et dut mettre le genou par terre. Noa lui attrapa le bras, mais ses mains glissèrent et elle ne put le relever. Ils parurent soudain impuissants, comme si ce n’étaient pas seulement les Antaam qui les rattrapaient, mais leur âge.

Kaathrata atteignit l’autre côté du pont, fusillant du regard les deux Corbeaux. Avec un sourire mauvais, il fit signe à ses hommes de s’arrêter et hissa son marteau de guerre sur son épaule et le soupesant ostensiblement. « Alors, on s’essouffle ? », ricana-t-il. « Ou peut-être que le temps vous est compté, comme celui votre ville. Et bientôt, comme celui du monde. » Il jeta un regard en arrière, comme pour s’assurer que sa troupe le regardait bien, puis il chargea sur le pont. Hilare, il leva son marteau bien haut.

Néri et Noa l’observaient, depuis leur côté de la herse. Une herse peinte en noir, avec une petite silhouette de corbeau, les ailes déployées. Invisible si l’on ne savait pas où chercher, mais très utile pour qui avait l’œil aguerri. Impossible aussi de deviner les deux câbles enroulés au sol devant eux, très semblables à celui le long duquel ils venaient de glisser. Par contre, les extrémités de ces câbles n’étaient pas ancrées à un quelconque toit. Ils s’élevaient au-dessus de la herse et s’enroulaient dans ses rouages.

Noa comptait les foulées de Kaathrata, calculant sa vitesse. À l’instant où l’Antaam passa sous la herse, elle donna un coup de pied dans le levier qui la maintenait en l’air. Un geste quasiment parfait. La porte de fer tomba, entraînant avec elle les câbles qui fouettèrent le sol. L’un d’eux happa le bras de Kaathrata et tira son marteau derrière lui. L’autre s’envola en décrivant une spirale et s’enroula à la base de son torse. Il y eut un instant de silence, tandis que la charge de Kaathrata était stoppée nette. Un instant de silence avant son hurlement. Un instant pendant lequel le craquement de ses os retentit au-dessus des canaux. Cinglante humiliation pour le Fouet.

Kaathrata heurta la herse et le choc lui coupa le souffle. De l’autre côté, ses hommes se précipitèrent. Mais la herse fermée, ainsi que leur chef et ses bordées d’injures leur coupaient la route. « Levez-la ! » hurla-t-il. « Attendez... »

Les câbles se tendirent et l’enserrèrent encore davantage, cisaillant ses côtes et menaçant de le suspendre par son bras déjà tordu. Plusieurs mains se saisirent de la herse, l’empêchant d’atteindre le sol. Avec un grognement, les hommes du Fouet la soulevèrent à hauteur de poitrine, permettant à leur chef de reprendre appui par terre, même s’il était toujours empêtré dans le câble.

Néri se redressa et défroissa le cuir de la manche que Noa avait si vigoureusement attrapée. Kaathrata leur jeta un regard meurtrier. « Un piège », articula-t-il. « Les corbeaux sont tous des lâches. »

« Des artistes », le corrigea Noa. « Ce n’est pas la même chose. »

« Vous m’avez neutralisé », poursuivit le Fouet. « Qu’est-ce que ça va vous apporter ? Le Boucher Daathrata tient votre ville. Chaque kithtaam est dirigé par un Antaam aussi fort que moi. Et bientôt, ils seront plus forts que moi. » Il ricanait, comme si un défi ne pouvait être qu’une boutade. De nouveaux soldats arrivèrent de l’autre côté du pont ; plusieurs s’approchèrent de la herse, pour la soulever entièrement. « La personne qui a écrit mon nom en bas de votre contrat d’assassins vous fait perdre votre temps. »

« Vous ? » répondit Néri, tournant un peu la tête. « Ce n’est pas vous, l’objet du contrat. »

Une explosion secoua la ville. On ne pouvait pas la voir, elle était bien trop loin. Elle venait des portes de la garnison antaam. Là où Kaathrata le Fouet stationnait ses troupes.

« Vous, vous êtes la distraction», expliqua Noa.

La voix lointaine retentit à nouveau. Il n’y avait plus d’ennui dans son intonation. On pouvait peut-être même y discerner un peu d’excitation. « Antaam ! Les Corbeaux montrent leurs serres ! Revenez, et repoussez-les ! C’est un ordre ! »

Les Antaam qui se précipitaient vers le pont s’arrêtèrent, confus. Ils semblaient tiraillés entre deux ordres : celui d’un chef de guerre lointain, et celui de leur lieutenant prisonnier.

« Allez, du balai », leur intima Néri, les congédiant d’un geste. « Vous avez entendu le Boucher ! »
« Et vous avez entendu Kaathrata », ajouta Noa. « D’autres sont aussi forts que lui. Le Fouet a fait son temps ! »

Ses paroles produisirent comme une onde, dans les rangs des Antaam. Ils étaient libérés. Il se faisait obéir par la peur. Et cette peur avait disparu. L’Antaam juste derrière lui, sans doute son second, fit signe aux autres de se retourner et de le suivre. Ceux qui tenaient la herse furent les derniers à partir. Ils regardèrent les Corbeaux, leur chef ligoté, puis ils lâchèrent la grille et suivirent leurs camarades.

« Lâches ! Traîtres ! » hurla Kaathrata. « Je vous ferai tous fouet...»

La lourde porte de métal tomba, suivie du marteau que Kaathrata ne pouvait plus tenir. Il fut soulevé tout contre l’ouverture par laquelle les câbles entraient dans le mécanisme de la herse. Il lutta contre les rouages, mais à chacune de ses respirations, les câbles le serraient un peu plus. Graduellement, inexorablement, la herse atteignit le sol. Et Kaathrata le Fouet resta suspendu, là où les corbeaux pouvaient lui dévorer les yeux. Dès l’aube, d’autres oiseaux les auraient rejoints.

* * *

C’était une belle journée, le marché bourdonnait d’activité, et le café bruissait de la rumeur des événements de la veille.

« Vous avez entendu ? »

« Vous avez vu ? »

« Ils sont toujours là ! »

« Ils se battent pour nous ! »

Néri et Noa de Acutis savouraient leur ammazza et l’excitation de la population trévisienne.

« Tu sais qui s’est occupé du contrat ? » demanda Noa.

« Non », admit Néri. « Un autre Corbeau ou un ami. Quelqu’un qui escalade mieux les murs que nous. » Il tapota sa canne et but une gorgée. « Place aux jeunes. »

« Le Boucher continue ses messages quotidiens », dit Noa en versant beaucoup trop de sucre dans sa tasse. « Mais on l’a obligé à ralentir. La moitié de ses armes bizarres est partie en flammes. »

« Il en trouvera d’autres, même si ça ne sera pas facile. » Néri se recula dans sa chaise, pensif. « Si on affaiblit l’occupant, qu’on réussit à le pousser dans ses retranchements... Quand le nom du Boucher sera enfin sur le contrat, il n’y aura plus personne pour le remplacer. »

« Dommage », sourit Noa à travers sa boisson. « Ça me plairait de tuer quelques candidats. »

Néri lui rendit son sourire. « C’est noté. En attendant, on prépare notre message pour leur répondre. » Il leva sa tasse. « Les Corbeaux gouvernent Antiva. »

Noa lui répondit avec la sienne. « Et Treviso sera libre. »

Références[]

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